Adieu, Jean-Michel

Jean-Michel nous a quitté.

Pour employer les mots pudiques de Sylvie, il a eu "un accident de vie, une griffure de trop sur une peau déjà couturée", et il ne s'en est pas remis.

Lequel d'entre nous peut se croire à l'abri de cette déchirure intime, creusée de nos insatisfactions et de nos désespérances, jusqu'à s'ouvrir sur ce vertige mortel contre lequel la raison, peu à peu, perd pied ?

Moi, j'ai mal à ma vie, mal à ma raison, mal à mes certitudes devenues fragiles et obsoletes, mal tout simplement d'avoir perdu un camarade et un joyeux compagnon. Adieu l'ami... Ta grosse voix et ta rondeur de bon vivant me manquent déjà. Et je sais que de temps en temps, en répétition, je me retournerai sur une place vide, la bouche ouverte sur un conseil devenu inutile.

Et me reviennent en mémoire ces quelques vers laissés par ma fille, qui a fait elle aussi "le voyage interdit"... Une âme encore neuve pourtant, sans griffure ni cicatrice, qui s'est brisée un soir d'octobre 1993...

J’ai voulu peindre la Vie.
Alors je suis allée voir la mer qui pleure sur la plage,
et j’ai dessiné son visage lisse, larmoyant et gris
et ses milliers d’yeux brillants de rage.

Quand à mon dessin j’ai voulu y rajouter des Hommes,
J’ai regardé dans ma tête et dans mon coeur.
Mais il n’ avait plus rien, personne,
A part une feuille blanchie par mes peurs.
...

Et depuis, on entend, la nuit, la mer pleurer,
pleurer…
Et les larmes salées s’écrasent sur son visage lisse et doré.